Langue de bois et politiquement correcte ont volé en éclats avant-hier, 2 juin 2010, à la rotonde de l’Assemblée nationale, à l’occasion d’un colloque initié par la convention de la société civile, sur « le bilan et les perspectives de la démocratie en côte d’ivoire après 20 ans de multipartisme ».
Mamadou Koulibaly, président de l’Assemblée nationale, vice-président du Fpi (Front populaire Ivoirien) et n° 2 du régime au pouvoir, a littéralement étrillé, dans son intervention, M. Désiré Assignini Tagro, ministre de l’Intérieur, pourtant son « camarade » de parti. En tout cas, l’affaire « fascine » l’opinion, du fait que le jugement que Koulibaly Mamadou porte sur le ministre de l’Intérieur, va au-delà de sa simple personne pour toucher aux fondements même de la République. On le sait, depuis l’éclatement de la crise en 2002, le président de l’Assemblée nationale a changé, au sens le plus large du terme.
Un citoyen libre qui se « rebelle » contre la situation que connaît son pays, qu’un homme politique, président de la deuxième du pays. Le moins que l’on puisse dire, c’est que cette fois-ci, Mamadou Koulibaly a fait fort. Le ministre de l’Intérieur, Désiré Tagro a servi « d’escabeau » à Mamadou Koulibaly pour s’attaquer, adroitement, au chef de l’Etat, Laurent Gbagbo, à la Constitution de laquelle celui-ci tire son pouvoir, au régime présidentiel et dénoncé un système « mafieux et corrompu » en place en Côte d’Ivoire, l’échec de l’APO, l’absence prolongée des élections ect... Sur la question de l’absence prolongée des élections en Côte d’Ivoire, le président de l’Assemblée nationale rend, subtilement, responsable, Laurent Gbagbo, président en exercice. .. Tagro, l’habillage...
« La responsabilité est le devoir de répondre de ses actes en toutes circonstances et quelles que soient les conséquences... être responsabilisé implique que d’autres aient confiance en vous et vous respectent. On parle souvent de responsabilité politique lorsque les hommes politiques se comportent avec honneur et s’imposent l’obligation de quitter leurs fonctions lorsque ceux qui les ont mandatés perdent confiance en eux et ne les respectent plus » a dit Mamadou Koulibaly. Qui dénonce par ailleurs « un modèle politique purement politicienne tourné vers l’assouvissement d’intérêts égoïstes particuliers et clairement à l’opposé du bien être collectif ». Ici, nul n’a besoin de faire beaucoup d’efforts intellectuels pour savoir que Laurent Gbagbo reste le seul garant du « bien être social et collectif » des Ivoiriens.
Mamadou Koulibaly attribue « la défaillance, voire la faillite de l’Etat » à la « perte de contrôle sur une partie du territoire national », mais aussi et surtout « au fait de ne pas maitriser la règle du jeu du pouvoir et la totalité de l’environnement décisionnel ». Sauf à avoir des œillères, l’allusion ici au chef de l’Etat est plutôt directe, étant donné que c’est lui qui incarne « le pouvoir ».
C’est quand le président de l’Assemblé nationale aborde la question des régimes présidentiels en Afrique que Mamadou Koulibaly, à bras raccourcis, fait tomber son masque « d’opposant ». Le régime de Gbagbo se veut un régime présidentiel fort. Mamadou Koulibaly estime « que les régimes présidentiels africains sont incapables d’assumer leurs responsabilités devant les peuples et devant l’histoire. Le règne de ces régimes est une longue histoire d’occasions manquées avec les peuples, l’histoire, le développement et la démocratie... des régimes tournés vers la politique du ventre ».
Cet état de fait, selon lui, est à la base « de la résurgence des coups d’Etats militaires ou constitutionnels ». Il met à l’index, sans relativisme, la « prolifération de régimes autocratiques et corrompus légitimant et crédibilisant la solution militaire ». Le régime de Gbagbo a été l’objet d’un coup d’Etat qui s’est mué en rébellion. Est-ce parce qu’il « est corrompu et autocratiques » ? Pour lui, le salut viendra du changement de la nature du régime en place au profit d’un régime parlementaire. « Parce que les régimes présidentiels permettent aux élites africaines de gouverner leurs états inefficacement et sans aucun contre-pouvoir ». Le ministre Tagro a servi d’habillage aux attaques de Mamadou Koulibaly contre le chef de l’Etat. Il estime que l’APO reste l’exemple caractéristique de l’échec politique de Laurent Gbagbo. « L’APO s’est embourbé dans ses contradictions congénitales. La responsabilité du ministre Tagro est engagée, car c’est lui qui a négocié, discuté, approuvé et conseillé. Régime corrompu et autocratique L’échec patent de cet accord devrait amener le ministre Tagro à en tirer les conséquences et démissionner. Un homme politique responsable démissionne... Le temps qui passe joue contre lui ( Gbagbo). Les populations semblent accepter fatalement l’interminable statu quo issu de l’APO... Dans un contexte d’échec aussi flagrant, il est peu probable que les responsables endossent leurs responsabilités » soutient, péremptoire, M. Koulibaly.
Le premier responsable de cet accord n’est autre que Laurent Gbagbo... Cet accord de Ouagadougou a été signé sous l’aval du chef de l’Etat qui en est son concepteur. Le ministre Désiré Tagro l’a signé au nom et pour le compte de Laurent Gbagbo. Dire que l’APO a atteint ses limites » et qu’en conséquence, Désiré Tagro devrait démissionner, Koulibaly Mamadou demande implicitement au chef de l’Etat, père politique de cet accord, de rendre le tablier. Cela est d’autant plus clair dans sa tête qu’il n’hésite pas à rappeler quelques phrases du chef de l’Etat visant à contenir l’impatience des Ivoiriens. « On a coutume d’entendre des opinions telles que : Cà va aller » « ce n’est pas ma faute » « et si je ne l’ai pas fait, ça fait quoi »...
Et comme cerise sur le gâteau, Koulibaly Mamadou affirme que « le ministre Tagro a fait prendre des ordonnances illégales au président de la république ». Laurent Gbagbo, un chef d’Etat, intellectuel de haut vol, à qui un ministre fait signer des « ordonnances illégales » ?. C’est le comble pour la Côte d’Ivoire. C’est vrai, Koulibaly Mamadou a pris, ici, le parti de l’audace. Mais, de l’avis de bien d’analystes, il a poussé le bouchon trop loin. On ose croire qu’il ne veut pas dire que les Ivoiriens ont à leur tête, un « grand naïf », qui se laisse manipuler par des ministres qu’il a nommés et qui sont responsables devant lui.
Armand B. DEPEYLA