La marche projetée par les jeunes du Rhdp le 15 Mai 2010 place Laurent Gbagbo face à un dilemme cornélien. S’il l’interdit, il pourrait passer pour un prédateur des libertés...
S’il l’autorise et qu’elle dégénère, les conséquences pourraient affecter son pouvoir. Le Rassemblement des houphouetistes pour la démocratie et la paix (Rhdp), en particulier et l’opposition en général, repart à l’offensive à travers une grande marche dite de « la délivrance »... La date et le lieu choisis pour cette manifestation sont loin d’être fortuits. La place de la république, à deux pas du palais présidentiel : tout un symbole. La date du 15 mai coïncide avec l’édition 2010 des Assemblées annuelles de la Banque africaine de développement (Bad).
La teneur des déclarations qui sont faites par les différents responsables des jeunesses du Rhdp, l’implication directe des leaders des composantes de cette coalition, laissent à penser que nous ne sommes pas en face d’une surenchère verbale politique. Cette fois, le coup que prépare le Rhdp pourrait bien mettre Laurent Gbagbo dans des difficultés. « Nous allons rester dans la rue jusqu’à ce que Gbagbo parte » a lancé Innocent Anaky Kobena, président du Mfa. « ... Il se trouve malheureusement que quelques semaines après, la Cei ne décolle pas. Il se trouve que le camp présidentiel pose de faux problèmes.
Il se trouve qu’ils sont à la base de tous les blocages que nous observons à nouveau et je crois qu’il est de notre devoir qu’après la suspension du mot d’ordre, d’essayer de reprendre la situation en main et de dire que nous ne pouvons pas continuer comme ça. Il ne s’agit pas de nous retrouver dans un pays sans repère, dans un pays où tout nous abandonne et rester passif jusqu’à ce que la situation devienne insupportable pour l’ensemble des populations. Je comprends donc la démarche que les jeunes font actuellement. On apprend qu’on leur fait d’autres propositions. En tout état de cause, je crois qu’ils se sont référés au directoire du Rhdp.
Nous aurons à donner dans quelques jours les orientations nécessaires pour la grande mobilisation qui s’impose à nous et qui s’impose à tous les Ivoiriens pour la Côte d’Ivoire, enfin, voit des élections pour sortir de la crise de manière durable et définitive », a galvanisé, pour sa part, Abdallah Mabri Toikeusse, président de l’Udpci, les jeunes du Rhdp et les Ivoiriens. En tout cas, cette manifestation politique, Laurent Gbagbo n’aurait jamais souhaité l’affronter en ce mois de mai. Mais, elle est là, implacable... Une situation d’autant plus embarrassante que le chef de l’Etat fait face un dilemme cornélien. Une conjoncture qui lui donne de gros soucis, selon des sources proches de la présidence. Ce dilemme se résume en ces termes : interdire et réprimer cette marche après les événements sanglants du mois de février 2010, risque de le faire passer pour un « prédateur des libertés » consacrées par la constitution ? Car, interdire une manifestation politique de partis légalement constitués est contraire à la l’éthique démocratique.
Le chef de l’Etat se fait des soucis à ce niveau, lui dont le parti vient de s’autoriser une gigantesque marche à Yopougon, à l’occasion de la « fête de la liberté » le 30 avril 2010. Cependant, autoriser cette manifestation dont le caractère, pour le moins insurrectionnel semble manifeste, avec tous les risques de débordement qui pourraient collatéralement affecter l’Assemblée annuelle de la Bad, reste une décision difficile à prendre pour Gbagbo. Si la manifestation dégénère, le retour de la Bad en Côte d’Ivoire pourrait être compromis davantage. Un autre motif d’insomnies pour Laurent Gbagbo.
On le voit, les intérêts et les enjeux, selon qu’on est placé dans un camp ou dans l’autre, sont divergents. Laurent Donan Fologo, président du Rassemblement pour le progrès, le partage et la paix Rpp, un parti proche du camp présidentiel, est pour le matage de cette manifestation du Rhdp. « La Côte d’Ivoire est dans une situation difficile due à un guerre que nous avons connue... Nous sommes en train de mettre tout mettre en œuvre pour accueillir les Assemblées annuelles de la Bad.
Il faut, pour cela, un cadre de paix et de sécurité... Pour ma part, jusqu’à l’organisation des Assemblées générales de la Bad en Côte d’Ivoire, aucun désordre ne doit être toléré », a-t-il froidement confié à Soir-Info N° 4703 du Mercredi du 05 Mai 2010. Comme lui, certains « faucons » du camp présidentiel pensent la même chose. En ce qui le concerne, le ministre de l’Intérieur, Désiré Tagro, est toujours en négociation avec la jeunesse du Rhdp pour le report de la manifestation. Il a eu sa réponse avant-hier... « La marche aura bel et bien lieu le 15 mai 2010 », ont affirmé les jeunes dans une lettre qui lui a été déposée.
Le chef de l’Etat, garant de l’ordre public qui se retrouve face à ce grand dilemme, devrait, en dernier ressort rendre sa décision. Ce sera peut-être le coup de l’étrier ? Va-t-il faire sienne cette philosophie d’Houphouët-Boigny qui dit préférer, au désordre, l’injustice ? En tout cas, la décision de Gbagbo va, soit faire baisser la tension, soit mettre à l’épreuve, voire au supplice, le processus de sortie de crise.
Source : Soir Info |